Au cœur du paysage économique algérien, deux figures emblématiques se sont longtemps affrontées dans une rivalité qui a marqué la dernière décennie : Ali Haddad et Issad Rebrab. Cette confrontation, bien plus qu’une simple concurrence entre hommes d’affaires, révèle les tensions et les enjeux de pouvoir qui ont traversé l’élite économique du pays sous l’ère Bouteflika.
Deux parcours, deux visions de l’économie algérienne
Ali Haddad : l’homme du système
Ali Haddad incarnait la réussite fulgurante d’un entrepreneur proche du pouvoir. À la tête du groupe ETRHB, il a bâti un empire dans le BTP et les travaux publics. Son ascension était intimement liée à ses connexions politiques, notamment avec le clan Bouteflika. Haddad a longtemps présidé le Forum des chefs d’entreprise (FCE), principale organisation patronale du pays, renforçant ainsi son influence au sein du système.
Issad Rebrab : le self-made man contestataire
À l’opposé, Issad Rebrab s’est toujours présenté comme un outsider. Fondateur du conglomérat Cevital, il est devenu la première fortune d’Algérie et un acteur majeur de l’industrie agroalimentaire. D’origine kabyle, Rebrab a cultivé une image d’indépendance vis-à-vis du pouvoir central, ce qui lui a valu à la fois admiration et suspicion.
Les racines du conflit
La rivalité entre Haddad et Rebrab s’est cristallisée autour de plusieurs enjeux :
La course aux marchés publics
Les deux hommes se sont souvent retrouvés en concurrence pour l’obtention de juteux contrats étatiques. Haddad, grâce à ses relations, a longtemps bénéficié d’un accès privilégié à ces marchés, au grand dam de Rebrab qui dénonçait un système opaque et inéquitable[1].
Le contrôle du patronat
La présidence du FCE par Haddad a été perçue par Rebrab comme un moyen de marginaliser les entrepreneurs indépendants. Cette mainmise sur l’organisation patronale a exacerbé les tensions entre les deux camps, Rebrab se sentant exclu des cercles d’influence[2].
Les visions économiques divergentes
Rebrab prônait une diversification de l’économie algérienne et une ouverture aux investissements étrangers. Haddad, lui, défendait un modèle plus protectionniste, en phase avec la ligne gouvernementale. Cette opposition idéologique a nourri leur antagonisme[3].
L’escalade des hostilités
Les attaques de Haddad
En 2018, Ali Haddad a lancé une offensive médiatique contre Rebrab, l’accusant de corruption et d’irrégularités dans ses projets d’affaires. Ces déclarations ont provoqué une vive controverse et ont eu des répercussions sur les activités des deux hommes[4].
La riposte de Rebrab
Issad Rebrab n’est pas resté passif face à ces attaques. Il a dénoncé publiquement le blocage systématique de ses projets par ce qu’il appelle une « main invisible ». Sans nommer directement Haddad, Rebrab pointait du doigt l’influence néfaste de certains cercles proches du pouvoir[5].
Les implications politiques du conflit
Cette guerre des chefs a eu des répercussions considérables sur le tissu économique et politique du pays :
Le ralentissement des investissements
Plusieurs projets d’envergure ont été retardés ou abandonnés en raison des blocages administratifs liés à ce conflit. Cette situation a freiné la croissance économique et l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers[6].
La perte de confiance des opérateurs économiques
L’instabilité générée par ces luttes intestines a semé le doute parmi les entrepreneurs algériens, craignant d’être pris entre deux feux ou victimes de règlements de comptes[7].
Les développements récents
La chute de Haddad
L’arrestation d’Ali Haddad en 2019, dans le sillage du mouvement de contestation populaire, a rebattu les cartes. L’ancien homme fort du patronat algérien est aujourd’hui emprisonné pour corruption, marquant la fin d’une ère[8].
Les défis de Rebrab
Malgré la disgrâce de son rival, Issad Rebrab n’est pas sorti indemne de ces années de conflit. Il a lui-même fait l’objet de poursuites judiciaires et doit désormais composer avec un environnement politique en pleine mutation.
En définitive, le conflit entre Ali Haddad et Issad Rebrab aura été le révélateur des dysfonctionnements profonds de l’économie algérienne sous l’ère Bouteflika. Au-delà des destins individuels, c’est tout un système qui est aujourd’hui remis en question. L’avenir dira si cette crise aura servi de catalyseur pour une véritable transformation du paysage économique du pays.